Le 2 Mars 1848, à
l'occasion de la plantation d'un arbre de la
liberté place des Vosges à Paris, Victor
Hugo prononce ce discours pour célébrer la
proclamation de la Seconde République.
C'est avec joie que je me rends à l'appel
de mes concitoyens et que je viens saluer au
milieu d'eux les espérances d'émancipation,
d'ordre et de paix qui vont germer, mêlées
aux racines de cet arbre de la liberté.
C'est un beau et vrai symbole pour la
liberté qu'un arbre ! La liberté a ses
racines dans le coeur du peuple, comme
l'arbre dans le coeur de la terre ; comme
l'arbre, elle élève et déploie ses rameaux
dans le ciel ; comme l'arbre, elle grandit
sans cesse et couvre les générations de son
ombre. (Acclamations.) Le premier
arbre de la liberté a été planté, il y a
dix-huit cents ans, par Dieu même sur le
Golgotha. (Acclamations.)
Le premier arbre de la
liberté, c'est cette croix sur laquelle
Jésus-Christ s'est offert en sacrifice pour
la liberté, l'égalité et la fraternité du
genre humain. (Bravo
et longs applaudissements.)
La
signification de cet arbre n'a point changé
depuis dix-huit siècles ; seulement, ne
l'oublions pas, à temps nouveaux devoirs
nouveaux ; la révolution que nos pères ont
faite il y a soixante ans a été grande par
la guerre ; la révolution que vous faites
aujourd'hui doit être grande par la paix. La
première a détruit, la seconde doit
organiser. L'oeuvre d'organisation est le
complément nécessaire de l'oeuvre de
destruction ; c'est là ce qui rattache
intimement 1848 à 1789. Fonder, créer,
produire, pacifier ; satisfaire à tous les
droits, développer tous les grands instincts
de l'homme, pourvoir à tous les besoins des
sociétés : voilà la tâche de l'avenir. Or,
dans les temps où nous sommes, l'avenir
vient vite. (Applaudissements.)
On pourrait
presque dire que l'avenir n'est plus demain,
il commence dès aujourd'hui.
(Bravo !)
A l'oeuvre, travailleurs par le bras,
travailleurs par l'intelligence, vous tous
qui m'écoutez et qui m'entourez ! mettez à
fin cette grande oeuvre de
l'organisation fraternelle de tous les
peuples, conduits au même but, rattachés à
la même idée, et vivant du même coeur.
Soyons tous des hommes de bonne volonté, ne
ménageons ni notre peine ni nos sueurs.
Répandons sur le peuple qui nous entoure, et
de là sur le monde entier, la sympathie, la
charité et la fraternité. Depuis trois
siècles, la France est la première des
nations. Et savez-vous ce que veut dire ce
mot, la première des nations ? Ce mot veut
dire, la plus grande ; ce mot veut dire
aussi, la meilleure.
(Acclamations.)
Mes amis, mes frères, mes
concitoyens, établissons dans le monde
entier, par la grandeur de nos exemples,
l'empire de nos idées ! Que chaque nation
soit heureuse et fière de ressembler à la
France ! (Bravo !)