21

 

Merci de patienter pendant le chargement de l'image

 Le menhir du Coll de la Dona Morta (6/6/2004)

WGS84 N42°24'37" E2°41'50" 1133m

http://personal.telefonica.terra.es/web/arcis/cat/dona_morta.html

Voila la légende de la Dona Morta, telle qu'elle est racontée sur un panneau qu'on peut voir au col, à côté de l'endroit où le menhir est resté des siècles couché sur le sol.

Le texte du panneau est un extrait de
 "Lieux et légendes du Roussillon et des Pyrénées catalanes" Jean Abélanet,
Editions Trabucaire, Perpignan, 1999, P149-151.

 

Réunis autour de la grande cheminée du mas de la Borbolla, maîtres et valets de ferme, femmes et enfants, toute la maisonnée s’affairait. C’était le grand jour de la matança del porc, le sacrifice du cochon mis à l’engrais pendant l’année, comme dans toutes les bonnes fermes du Vallespir. Autant pour donner un coup de main que pour participer à la fête, on avait invité parents et amis. La nuit était tombée depuis plus d’une heure. Egorgé le matin, le bénéfique animal avait été ébouillanté, nettoyé, raclé et découpé. Tandis que le barbufat (sorte de soupe épaisse à base du sang et des menus restes de la victime) cuisait à gros bouillons dans l’olia, les femmes, sous les regards attentifs et émerveillés des enfants, s’employaient à confectionner boudins, saucisses et saucissons. De leur côté, les hommes préparaient jambons et cansalada (lard ou ventrèche). Toutes ces cochonnailles, une fois salées et poivrées, iraient sécher et se bonifier pendant tout l’hiver, pendues aux poutres du rebost (ou rebosc, pièce obscure et fraîche où sont conservées les provisions).

Les langues allaient bon train. Comme on était aux premiers jours de novembre, la conversation s’était égarée sur les morts, puis sur les revenants, puis sur les bruixes et le diable. L’une avait parlé d’un vieux berger de la région qui était tellement sauvage et faisait si peur aux gens que, par précaution, à sa mort, on avait cloué son crâne dans le cercueil pour qu’il ne revienne pas tourmenter les vivants ; l’autre, d’une dame blanche qui se montrait parfois, les jours de pleine lune, au-dessus des gorges de la Fou ; en baissant la voix, une troisième avait révélé qu’on avait dû faire venir un capucin de Perpinyà pour exorciser une des filles de Can Taqui et qu’il en était sorti sept démons, hurlant et blasphémant, qui s’étaient dissipés dans les airs ! Instinctivement, les enfants s’étaient rapprochés du cercle de lumière que faisait la lampe à huile au milieu de la pièce. « Tout ça, c’est des histoires bonnes à faire peur aux gens, històries dela vora del foc (des histoires du coin du feu). Moi je n’y crois pas » s’écria la Martina. Un silence suivit, comme si on avait entendu un blasphème. N’empêche, lui lança son mari, que tu as une peur bleue des araignées et des serpents et quand un rat traverse la cuisine, tu montes en vitesse sur un banc en poussant des cris de pintade ». La répartie eut le don de détendre quelque peu l’atmosphère. Oui, mais c’est pas la même chose : les revenants, les encatades et les bruixes, moi je n’en ai pas peur, je n’y crois pas ». « Eh bien, intervint l’oncle Abdon, je parie deux pièces d’or que tu n’iras pas à minuit, planter une agullada, là-haut, à la Collada del Cingle Gran ». Et l’oncle Abdon dénoua sa large ceinture de flanelle rouge (faixa) et tira de son gousset (butxaca) deux belles pièces d’or (lluises). « J’ai vendu ce matin un bélier (marrà), à la foire de Ceret ». « Oui, oui, vas-y tante Martina » crièrent les enfants.

La Martina était fière et têtue : malgré son horreur des araignées, des serpents, des rats et de l’obscurité, elle s’était trop engagée pour se rétracter. La nuit était déjà bien avancée. Elle passa à l’étable prendre l’ agullada, le long bâton pointu avec lequel on dirige les boeufs, et s’engagea sur le sentier qui mène au col. La distance à parcourir n’était pas très grande : un quart d’heure de marche tout au plus. Habituée à la montagne, elle allait d’un pas alerte et vif, tenant son long bâton d’une main et de l’autre, relevant sa longue robe noire et ses jupons pour ne pas trébucher aux pierres du chemin. Il faisait une nuit d’encre. De l’autre côté de la vallée du Tech,quelques faibles lueurs signalaient la présence de villages lointains ou de quelques métairies pas encore endormies. Sa robe accrochait parfois les ronces bordant le sentier. A chaque bruit insolite, petit animal dérangé dans son sommeil ou prédateur aux aguets, son coeur se mettait à battre la chamade ; mais elle travaillait à se rassurer en cherchant à les identifier : ça, s’était un oiseau qui s’agitait ; ceci, un petit rongeur qui s’écartait ; maintenant un lièvre qui déboulait de son gîte...Elle surmontait sa peur. A la raideur du sentier, qui s’adoucissait, elle compris qu’elle arrivait au terme de son épreuve. Elle devina les formes fantomatiques du chaos de rochers qui jalonnent la crête. Au moment même où elle plantait enfin son aiguillon, elle sentit passer, terrorisée, un souffle d’aiiles sombres au-dessus d’elle. Elle fit rapidement demi-tour et voulu reprendre son chemin. Elle hurla d’épouvante en se sentant retenue comme par une main invisible et elle perdit connaissance.

Les gens de la ferme, inquiets de ne pas la voir revenir, finirent par partir à sa rencontre. Arrivés sur place, ils la trouvèrent morte d’effroi et comprirent ce qui s’était passé : dans sa précipitation, elle avait planté l’aiguillon dans les pans de sa longue robe et elle était morte en s’imaginant que le diable la punissait de son incrédulité. On l’enterra sur place et le col prit le nom de Coll de la Dona Morta. On peut encore y voir un grand rocher plat, en forme de cercueil, gravé d’une petite croix. On prétend que c’est le tombeau de cette femme de la Borbolla qui refusait de croire aux bruixes et aux encantades.